Quelle a été la progression du socialisme et l’anti-impérialisme depuis l’indépendance pour (le pays) ?
Le combat pour le socialisme et l’anti-impérialisme, après avoir reflué suite au coup d’Etat de 1963 qui a hypothéqué la vie politique au Togo pendant 27 ans, était en forte progression au lendemain du soulèvement populaire du 5 octobre 1990 lorsque la jeunesse révolutionnaire qui a initié ce mouvement occupait les devants de la scène politique. Pour bien comprendre cette évolution pour ceux qui ne connaissent pas notre pays, il est nécessaire de revenir sur cette histoire.
A l’époque, notre parti, qui s’appelait Organisation des travailleurs du Togo pour la démocratie (OTTD), ayant évolué plus tard en Parti des travailleurs, et son allié, le Parti socialiste panafricain (PSP) dirigé par feu notre regretté camarade Tavio AMORIN, avaient commencé à entreprendre un travail d’éducation et de formation politique au sein de la jeunesse révolutionnaire et des organisations de travailleurs. C’était la situation à leur retour d’exil après 23 ans de domination du dictateur Etienne Gnassingbé EYADEMA sur le Togo.
Notre combat politique, avec ses mots d’ordre se concentrant à l’époque sur la nécessité d’en finir avec le régime du dictateur EYADEMA, rencontrait alors un important écho au sein de la jeunesse révolutionnaire et de l’ensemble de la population qui y retrouvaient l’expression de leurs aspirations. Surtout lorsque nous avions réussi à faire reprendre par le mouvement national à caractère insurrectionnel qui se développait alors, d’abord l’exigence de la démission du dictateur togolais lors de la puissante grève générale de juin 1991, puis celle de sa destitution lors de la Conférence nationale dite « souveraine » de juillet — août 1991. Mais, contre ce combat, s’est dressé un barrage des partis, associations et regroupements d’une opposition bourgeoise et petite-bourgeoise qui n’entendait que partager le pouvoir avec le dictateur togolais sur le modèle de ce qui avait été fait au Bénin et dans la plupart des pays d’Afrique où les régimes dits de « transition démocratique » ont été mis en place pour sauver les dictatures en place. Ce qui fut fait au Togo comme ailleurs.
En fait, il s’agissait de mettre en place des formules gouvernementales devant poursuivre et même intensifier la mise en application des plans d’ajustement structurel (PAS) dictés par le FMI et la Banque mondiale, plans que les dictatures militaires et civiles du continent n’arrivaient alors plus à imposer aux peuples qui se révoltaient partout contre leurs effets.
Dans cette situation, nos deux partis, l’OTTD et le PSP étaient la cible à la fois de la dictature en place et de ces partis bourgeois et petits-bourgeois d’opposition qui, tous ensemble, nous taxaient d’« extrémistes », de « venus de France », de « double passeports » pour nous faire passer péjorativement pour des « étrangers » ou des déracinés qu’il ne fallait pas écouter.
Cela ne réussissant manifestement pas, la dictature passa, au compte de tous, à la manière forte : ce fut le coup d’Etat du 3 décembre 1991 qui nous poussa à l’exil en liquidant les institutions de la transition telles qu’elles avaient été définies par la Conférence nationale et à l’intérieur desquelles nous avions continué à combattre. Puis, l’année suivante, ce sera l’assassinat de notre camarade Tavio AMORIN, le 23 juillet 1992, dans un contexte général où, telle la bête blessée que le mouvement insurrectionnel n’avait pas réussi à achever, se déchainait contre l’ensemble des citoyens une terrible répression sanglante qui a endeuillé le Togo tout au long des années 1993–1994, poussant des centaines de milliers de citoyens à prendre les chemins de l’exil dans le monde entier. C’est d’ailleurs depuis cette période qu’une forte diaspora togolaise s’est installée dans les pays d’Afrique, d’Europe et des Amériques.
Après un repli qui aura duré près de six ans, nous avons repris notre combat à l’intérieur du pays, mais en l’orientant principalement sur les revendications démocratiques tout en poursuivant le travail de conscientisation et de formation des militants les plus avancés. Tout ceci, dans les limites de ce qui peut être fait sous un régime de dictature, toujours en place depuis maintenant près de 60 ans, puisque c’est le 13 janvier 1963 que le Togo a basculé dans la tragédie sanglante qu’elle subit depuis lors avec l’assassinat de Sylvanus OLYMPIO, le premier président du pays qui avait dirigé la lutte pour la conquête de l’indépendance nationale.
Au total, dans l’état de terreur sous lequel vit le pays ces dernières décennies, notre travail de construction est rendu plus difficile par les répressions sanglantes massives intervenant à travers la multiplication des assassinats, arrestations arbitraires, tortures en détention, violations multiples des libertés d’opinion, de presse, de parole et d’organisation. Une situation qui se complique par une toile de fond marquée par l’impasse à laquelle les directions bourgeoises et petites-bourgeoises, qui se déchirent actuellement entre elles, ont conduit les intenses combats politiques pleins de promesse des années 1990, lesquels rebondissent d’ailleurs fréquemment jusqu’aujourd’hui.
Quelle est la structure du parti ?
A la base, nous avons les fédérations dans les différentes villes du pays dirigés par des comités politiques locaux qui en sont les directions. Ceux-ci désignent des responsables qui se réunissent mensuellement en Comité politique national (CPN) élargi au plan national, la direction nationale étant le Comité politique national qui coordonne l’ensemble de l’activité du parti.
Quelle est la théorie du parti ?
Dans la situation particulière qui est celle de notre pays où la structuration politique sur une base de classe est en construction, la grande masse du parti se structure sur des principes d’organisation assez souples pour lesquelles nous nous sommes en fait inspirés du modèle du Parti des travailleurs du Brésil.
C’est pourquoi la Charte de notre parti, adoptée à sa Conférence de fondation des 23 et 24 juillet 1988 et reconfirmée au Congrès de sa fusion-transformation en Parti des travailleurs les 27–28 novembre 1998, définit simplement comme base d’adhésion les principes suivants :
« Le Parti des travailleurs organise les travailleurs des villes et des campagnes.
En effet, il y a une réalité de la division de la société togolaise et des sociétés africaines en classes sociales distinctes dont les rapports à l’impérialisme sont précisément déterminés et dont les composantes fondamentales sont :
— la bourgeoisie compradore togolaise représentée aujourd’hui par le clan EYADEMA, sa camarilla, les hommes et femmes d’affaires de tous genres qui constituent les artisans et les soutiens de la dictature togolaise érigée pour permettre le pillage des richesses du pays et l’exploitation du peuple travailleur par l’impérialisme.
En contrepartie, ce dernier leur laisse des miettes de son système de profit. C’est à l’ombre de cette dictature que leurs affaires prospèrent par les salaires de misère imposés aux travailleurs, la corruption et les détournements de deniers publics. Ils ont ainsi pu accumuler des fortunes colossales pour la préservation desquelles ils ont intérêt à ce que la dictature soit maintenue.
— les travailleurs des villes et des campagnes qui sont les principaux producteurs des richesses mais sont exclus de leur jouissance pleine et entière.
A eux sont imposés sous tous les gouvernements, le blocage mais aussi la diminution des salaires, les impôts de toutes sortes, les plans de misère et de famine, les licenciements et le chômage décidés par l’impérialisme notamment à travers ses organismes comme le FMI, la Banque mondiale, et l’Union européenne, la répression, etc.
C’est donc pour les travailleurs qui n’ont aucun intérêt dans la perpétuation de la dictature que le Parti des travailleurs constitue un cadre d’organisation pour combattre le système d’oppression et d’exploitation jusqu’à l’instauration d’un pouvoir populaire qui, n’ayant pas d’intérêts différents de ceux des masses togolaises, placera au centre de son activité la satisfaction de leurs besoins. »
Pour autant, au sein du parti où nous admettons l’existence de courants, il y a un courant socialiste plus conscient qui forme les militants les plus avancés à assimiler les théories du mouvement ouvrier international.
Quelle est la position du parti sur la libération nationale et l’anti-impérialisme ?
Sur la libération nationale, notre position est définie par ce point de notre Charte de fondation qui dit :
« POUR L’UNITE DES PEUPLES D’AFRIQUE :
Le morcellement actuel de l’Afrique a été opéré il y a plus de 100 ans à la Conférence coloniale de Berlin (1884 -1885) sans participation ni avis des africains.
Cette division maintenue par l’impérialisme et ses agents jusqu’aujourd’hui a des conséquences politiques, économiques et sociales extrêmement négatives pour l’Afrique.
Il est donc nécessaire d’en finir avec les frontières artificielles héritées du colonialisme qui sont autant de couteaux dans la chair vive des peuples africains, et d’aller vers la fédération ou l’Union démocratique des peuples d’Afrique ; cependant, c’est aux peuples de décider.
Dans ce but nous combattrons aux côtés de tous les peuples d’Afrique pour chasser le colonialisme et l’impérialisme du continent. En particulier le Parti des travailleurs apportera tout son soutien aux organisations noires (regroupant noirs, métis et indiens) qui luttent contre l’apartheid en Afrique du Sud où sévit une domination de type colonial et esclavagiste. »
Et, sur la question de l’anti-impérialisme, notre Charte de fondation dit :
« IV — POUR LA RUPTURE AVEC L’IMPERIALISME
La dictature a été mise en place au Togo pour assurer la défense des intérêts de l’impérialisme, principalement français.
Le rétablissement de la démocratie suppose la rupture avec les structures et les mécanismes par lesquels l’impérialisme réalise le pillage du pays.
L’objectif du Parti des Travailleurs c’est d’aider les travailleurs des villes et des campagnes à réaliser leur propre émancipation, à rompre avec le système de profit capitaliste en tournant le système de production vers la satisfaction de leurs besoins.
Pour atteindre cet objectif, il est indispensable de réaliser :
- L’ANNULATION DE LA « DETTE » EXTERIEURE :
(…)
- LA FIN DE LA DOMINATION ETRANGERE :
Dénonciation de tous les accords de subordination (notamment ceux dits de « coopération ») fondée sur l’échange inégal et à travers lesquels s’organise le pillage des ressources de notre pays. »
Que pense le parti de l’anti-impérialisme et du socialisme africains aujourd’hui ?
Nous pensons d’abord qu’il faut écarter un malentendu à propos du terme « socialisme africain » car nous ne considérons pas qu’il puisse y avoir un socialisme typiquement africain en tant que tel, le socialisme étant une doctrine universelle d’émancipation des travailleurs quels que soient leur pays, leur continent ou leur nationalité. De ce point de vue, il ne peut se traduire dans chaque pays ou continent qu’à partir de son histoire, de son niveau de développement, de sa culture, de ses traditions, comme nous l’enseignent d’ailleurs le matérialisme historique et le matérialisme dialectique. C’est pourquoi pour nous, toute expérience socialiste qui se réalise dans un pays quel qu’il soit, constitue une expérience et un patrimoine pour tous les travailleurs du monde entier.
C’est aussi l’occasion de faire la clarté sur certaines expériences qui, se présentant comme relevant d’un « socialisme africain », c’est-à-dire ne répondant pas aux critères universels, ont conduit à de graves désillusions qui ont contribué à discréditer le socialisme en finissant par se révéler comme de caricaturales dérives qu’on ne saurait lui imputer. Malheureusement, la propagande impérialiste s’en sert comme un phénomène repoussoir qu’elle brandit contre le véritable combat pour le socialisme dont il complique ainsi la tâche.
Quant à notre position sur l’anti-impérialisme, au-delà de ce qui a été dit plus haut, il convient d’ajouter que le point VI de notre Charte de fondation, qui continue à définir notre position jusqu’à ce jour, la précise davantage comme suit :
« POUR L’UNITE DES PEUPLES D’AFRIQUE :
Le morcellement actuel de l’Afrique a été opéré il y a plus de 100 ans à la Conférence coloniale de Berlin (1884 -1885) sans participation ni avis des africains.
Cette division maintenue par l’impérialisme et ses agents jusqu’aujourd’hui a des conséquences politiques, économiques et sociales extrêmement négatives pour l’Afrique.
Il est donc nécessaire d’en finir avec les frontières artificielles héritées du colonialisme qui sont autant de couteaux dans la chair vive des peuples africains, et d’aller vers la fédération ou l’Union démocratique des peuples d’Afrique ; cependant, c’est aux peuples de décider.
Dans ce but nous combattrons aux côtés de tous les peuples d’Afrique pour chasser le colonialisme et l’impérialisme du continent. (…) »
C’est à ce titre que nous n’avons cessé de nous solidariser avec les combats de tous les travailleurs et peuples en Afrique et de par le monde contre la domination impérialiste.
Quels sont les domaines d’optimisme ?
Nous sommes profondément convaincus que les développements en cours tant dans notre situation nationale qu’à l’échelle internationale vont offrir des opportunités dont les travailleurs et les peuples pourront se servir pour en finir avec les régimes d’oppression et d’exploitation qui imposent la domination impérialiste en Afrique, au Togo et dans les différents pays du monde entier.
L’ensemble de la situation mondiale nous montre comment la domination de l’impérialisme est en crise profonde partout, comme nous le voyons avec la guerre en Ukraine qui constitue un facteur d’accélération de la prise de conscience des populations contre les injustices sociales de toutes sortes que tente d’imposer la domination de l’impérialisme aux pays et aux peuples. Notamment celles liées à la souveraineté nationale, à la vie chère, etc.. Assurément que cela ne manquera pas d’avoir des conséquences inattendues dans la prochaine période partout, particulièrement sur un continent africain où les peuples travailleurs sont debout dans les anciennes colonies françaises (Mali, Burkina Faso, Guinée, Centrafrique, Sénégal, etc.) pour chasser l’impérialisme français et ses troupes d’occupation afin de reconquérir leur souveraineté et la jouissance de leurs richesses afin de les consacrer à leur développement. N’est-ce pas concrètement ce que nous voyons s’exprimer à travers toutes ces crises, soulèvements et autres coups d’Etat qui se multiplient d’un pays à l’autre ?
Donc, tout permet de penser que nous ne sommes qu’au début de gigantesques bouleversements qui sont encore devant nous, cela, malgré la désinformation qu’organisent les médias internationaux et nationaux contrôlés par les grandes puissances impérialistes et qui ne sera d’aucun effet sur la réalité des conditions objectives : constante dégradation des conditions de vie des populations, famine, ruine, vie chère, renforcement de l’arbitraire à travers les tueries, la répression, les menées anti-démocratiques, etc.
En fait, nous étions déjà dans une période de guerres et de révolutions mais il est à penser qu’en réalité celles-ci vont avoir tendance à s’accélérer davantage, ne mettant aucun pays à l’abri, tout en offrant aux militants ouvriers aguerris de multiples opportunités d’intervention et d’action. En leur permettant d’ébranler et de défaire cet ordre impérialiste vermoulu qui fait planer de graves dangers de disparition sur l’humanité toute entière, si on en juge par sa propension à pousser à toutes ces guerres de décomposition alors que de puissantes armes de destruction massive s’accumulent.
Quel est le statut du néo-colonialisme français au Togo ?
Il y est dominant car, dans notre pays qui est entièrement vendu aux intérêts étrangers, les positions françaises sont dominantes surtout avec le groupe français Bolloré qui a fait main basse sur des pans entiers de l’économie togolaise au moyen d’une corruption des plus hauts responsables de l’Etat togolais qui défraye la chronique jusque devant les tribunaux parisiens. C’est ainsi qu’il détient la concession du Port et contrôle des positions dominantes dans la logistique des marchandises, les médias avec Canal +, les télécommunications, la presse, l’hôtellerie, etc. Rien que son chiffre d’affaires est plusieurs centaines voire milliers de fois supérieur au budget de l’Etat togolais : inacceptable !
Sans oublier que l’Etat français encadre l’armée, la gendarmerie et la police togolaises et est l’un des principaux pourvoyeurs d’armes à la dynastie dictatoriale en place qui opprime et massacre les innocentes populations avec de nombreux militants croupissant dans ses geôles infectes.
Il est plus que temps que cela cesse!
Merci beaucoup à Claude Améganvi pour cette interview.